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Esthétique et éducation artistique

Texte de mon mémoire professionnel, IUFM de Lyon, 1995

dimanche 24 janvier 2010, par Stéphane Kus

Introduction

Lorsqu’on observe les pratiques artistiques dans les classes primaires et que l’on interroge les enseignants à propos de celles-ci, on peut faire deux constats.

Premièrement, les pratiques sont très hétéroclites ; cela va du dessin libre à la récitation scolaire de poésie en passant par des séquences plus élaborées en arts plastiques s’inspirant en partie des écrits de Daniel Lagoutte.

Deuxièmement, les enseignants sont rarement à même de clarifier et de légitimer leurs démarches en fonction d’objectifs éducatifs, se contentant d’énumérer des objectifs étroitement disciplinaires.

Aussi quand les pratiques artistiques ne sont pas oubliées ou déchargées sur le dos d’un intervenant plus ou moins compétent, elles sont souvent décousues et sans réelles cohérences.

A cela s’ajoute une certaine imprécision des instructions officielles concernant l’éducation artistique. Elles précisent uniquement que les finalités de l’éducation artistique sont “de procurer aux enfants le plaisir du geste, de former le goût, de donner accès au patrimoine artistique et culturel, de développer les capacités d’expression et de création”. Qu’est-ce que le plaisir du geste en poésie ? Et à quoi cela peut-il servir ? Quelle est la différence entre le “culturel” et l’artistique ? S’agit-il de fabriquer de futurs consommateurs de culture, fréquentant les hauts lieux de l’Art avec un interêt non dénué de snobisme ? Quelle diffèrence entre expression et création ? S’agit-il de laisser les enfants se défouler et extérioriser leurs pulsions entre deux séquences de grammaire ?

Ces remarques sont certes caricaturales et il ne s’agit pas, bien sûr, de remettre en cause ces instructions, mais de montrer qu’il faut les interpréter pour leur donner un sens et un contenu en fonction d’enjeux éducatifs que ces instructions ne mentionnent pas.

Cependant ce flou qui règne dans les pratiques scolaires reflète aussi l’indétermination qui caractérise les pratiques sociales de référence, à savoir l’art contemporain. Celui-ci ne correspond en général plus au goût du grand public, mis à part un cercle restreint d’initiés. Les valeurs esthétiques ont connu une évolution tellement rapide au XXe siècle dans les milieux artistiques d’avant-garde, qu’elles sont actuellement sans rapport avec les notions de beau ou de virtuosité qui priment pour le grand public. Enfin le caractère assez indéfinissable des critères de jugement artistique, qui laissent une large place à l’irrationnel font du domaine artistique un champ où il est difficile d’avoir des repères.

Aussi on se demande quelle place peuvent bien avoir les pratiques artistiques à l’école primaire, à côté de disciplines rationnellement organisées et dont la progression, les objectifs et l’évaluation sont clairement définis. C’est pourquoi il a été choisi ici de rechercher auprès de la réflexion esthétique qui a toujours accompagné la création dans notre civilisation, tant de la part des philosophes et des penseurs que des artistes eux-mêmes, réflexion qui, de plus a su prendre en compte l’évolution des recherches menées en sciences humaines. La réflexion esthétique peut-elle fournir des fondements à l’éducation artistique à l’école primaire, et lui permettre d’organiser ses pratiques de manière cohérente, tel est le problème dont on s’occupera ici.

I/ Esthétique

On se contentera ici de préciser l’évolution générale de la réflexion esthétique en Occident selon la fonction qu’elle assigne à la production artistique, tant métaphysique que morale ou sociale, ainsi que selon le rôle qu’elle attribue à l’artiste.

1- la mimesis platonicienne et ses prolongements

L’esthétique, comme réflexion sur le rôle de l’art et de l’artiste, naît en même temps que la philosophie occidentale dans l’oeuvre de Platon. Première tentative qui nous soit parvenue de penser l’art, l’esthétique platonicienne, traite d’emblée l’art comme suspect. L’artiste en tant qu’illusionniste est un menteur, c’est pourquoi Platon va lui assigner une fonction très stricte dans sa République. Pour Platon, il s’agit de hierarchiser tout ce qui se montre selon une logique idéaliste. Seules existent réellement les idées éternelles et immuables : le Beau, le Bien, et le Vrai. Le monde de la nature sensible n’est qu’un reflet changeant et imparfait de cette Eternité immobile. Alors que dire d’une oeuvre d’art qui prétendrait imiter la nature sensible ! il s’agirait d’un double mensonge, d’une copie de copie ! Mais alors, quelle place pour l’artiste dans la République platonicienne ? Celui d’un médiateur vers le monde intelligible. En imitant l’idée de Beau et non la forme sensible, en magnifiant le modèle sensible et en lui donnant une certaine perfection de la forme, l’artiste doit permettre aux spectateurs de transcender l’amour de la beauté sensible vers l’amour de la beauté idéale du monde des idées. C’est là toute la diffèrence que Platon établit fermement entre l’idole, le simulacre, qui n’est qu’une illusion subversive détournant de l’idéal, et l’icône qui imite non pas la forme sensible, mais la forme intelligible permettant ainsi d’accèder à la beauté et à la vérité de ’idée.(cf. G. Deleuze, Logique du sens, appendice 1 : Platon et le simulacre, ainsi que les analyses de M. Heidegger sur l’esthétique Platonicienne dans son Nietzsche, tome 1)

On peut remarquer que l’on est très proche ici de la conception médiévale du rôle de l’art, qui reprendra tel quel cette conception où l’image et l’art en général est ambigü : selon qu’il stimule le corps ou l’âme, selon qu’il stylise la forme sensible en une représentation quasi abstraite pour élever l’esprit vers le sentiment du divin, l’art sera iconique ou idolâtre. Au moyen-âge la fonction de l’art sera donc en grande partie religieuse. Même la littérature médiévale˛dont les thémes guerriers, sentimentaux ou merveilleux sont d’origine largement païenne, va progressivement se christianiser ; il n’est qu’à voir l’évolution du mythe de la quête du Graal qui au départ n’a rien de chrétien et qui deviendra la quête de la coupe qui a recueilli le sang du Christ.

Quant à la renaissance, on pourrait croire qu’elle remet en cause le caractère religieux que l’époque médièvale avait assigné à l’art. En effet, l’inspiration des artistes va largement puiser dans la civilisation gréco-latine -païenne- et la peinture, par exemple, semble abandonner l’abstraction picturale au profit d’une représentation plus fidèle de la nature sensible, grâce à la perspective théorisée par Alberti. Cependant, il ne faut pas s’y tromper. De récentes études (Panofsky, La perspective comme forme symbolique notament) ont montré que la perspective n’est pas qu’une technique géométrique pour reproduire la réalité perçue, mais qu’elle a une signification plus vaste qui n’est pas étrangère à une nouvelle forme d’idéalisme qui marquera la modernité. De part la rigueur de sa construction qui s’appuie sur les mathématiques, on peut affirmer que la mise en perspective de l’espace sur une surface plane est une manière de transformer l’espace sensible en espace intelligible, idéalisé. D’autre part c’est l’irruption du point de vue dans le domaine plastique. Le sujet se fait source de l’image qu’il organise selon des critères rationnels propre à son entendement. Cette nouvelle forme d’idéalisme qui érige le sujet en législateur de la nature, donnera naissance à la philosophie cartésienne et donnera ses fondements à la science moderne. il est intéressant de souligner que l’art a pressenti et inauguré à la Renaissance, un nouveau mode de rapport au réél qui gouvernera l’évolution de la pensée, de la science et de la société jusqu’à aujourd’hui (thèse défendue par M. Foucault dans Les mots et les choses).

Le rôle que la philosophie de la subjectivité assigne à l’art confirme l’art dans sa fonction médiatrice vers la transcendance des idées. C’est Kant qui théorisera cette nouvelle forme d’esthétique idéaliste dans la Critique du jugement. La philosophie kantienne est une vaste entreprise dont l’objectif est de concilié l’inconciliable, et son esthétique sera à cette image. Tout en demeurant un idéalisme, l’esthétique kantienne prend en compte la nécessité de passer par le sensible pour accèder aux idées de la Raison qui demeurent inintelligibles pour l’entendement (Dieu, la liberté, l’immortalité de l’âme). Ces idées, que la Critique de la raison pure avait écartées parce qu’elles ne pouvaient se soumettre aux critéres d’intelligibilité de l’entendement, ont retrouvé une place à titre de postulats nécessaires pour fonder une philosophie pratique dans la Critique de la raison pratique. Cependant, pour Kant, l’art en nous faisant éprouver la beauté est seul à pouvoir signifier ces idées transcendantes à l’entendement, et cela parce qu’il est le seul à pouvoir symboliser, c’est à dire inscrire dans le sensible des vérités inintellibles et suprasensibles. En cela la beauté de l’oeuvre d’art réussit paradoxalement à être universellement compréhensible sans utiliser le concept rationnel et objectif propre à l’universalité de la raison humaine. En cela Kant annonce l’avénement du romantisme ; tout en demeurant dans le cadre d’un idéalisme de type platonicien (s’il fait la critique des prétentions de la raison spéculative à connaître les idées, celles-ci ne sont aucunement remises en cause), le rôle de l’artiste à travers ses oeuvres est largement valorisé, puisque celui-ci devient le seul médiateur vers la transcendance. De là à faire de l’artiste une espèce de démiurge et un phare du progrès de l’humanité, il n’y a qu’un pas que le romantisme franchira allègrement.

Hegel concluera cette histoire de l’esthétique idéaliste ou icônique, en faisant de l’art un des principaux moteurs du progrès de l’esprit dans l’Histoire : l’art en tant que matérialisation de l’Esprit et spiritualisation de la matière marque le progrès vers la révelation de l’Esprit à lui-même. “La plus haute destination de l’Art est celle qui lui est commune avec la Religion et la Philosophie. Comme celles-ci, il est un mode d’expression du divin, des besoins et des exigences les plus élevés de l’esprit.(...)Mais il diffère de la Religion et de la Philosophie par le fait qu’il possède le pouvoir de donner de ces idées élevées une représentation sensible qui nous les rend accessibles. La pensée pénètre dans les profondeurs d’un monde supra-sensible qu’elle oppose comme un au-delà à la conscience immédiate et à la sensation directe ; elle cherche en toute liberté à satisfaire son besoin de connaître, en s’élevant au dessus de l’en-deçà représenté par la réalité finie. Mais cette rupture, opérée par l’esprit, est suivie d’une conciliation, oeuvre également de l’esprit ; il crée de lui-même les oeuvres des beaux-arts qui constituent le premier anneau intermédiaire destiné à rattacher l’extérieur, le sensible et le périssable à la pensée pure, à concilier la nature et la réalité finie avec la liberté infinie de la pensée compréhensive.” (Hegel, Esthétique, i, 29) Un tel texte met en évidence le fait que le but de l’Art n’est jamais, que de manière contingente, d’imiter purement et simplement la nature sensible. De Platon à Hegel, la mimesis est avant tout une tentative d’inscrire l’idée dans le sensible pour permettre à l’humanité aliéné dans la finitude du réel d’accéder au divin où elle découvre sa vrai nature qui est spirituelle. La fin de l’Art, la mission de l’artiste, dans cette perspective idéaliste, est de donner à contempler le Beau comme catégorie de l’idéal, pour permettre à l’esprit de s’élever du sensible à l’intellible où réside sa vérité.

Actuellement, si cette esthétique idéaliste n’est plus partagée par nombre d’artistes, elle n’en demeure pas moins opérante dans ce qu’on pourrait appelé l’idéologie du Musée. Le musée qui se veut un lieu de préservation du patrimoine artistique de l’humanité où sont exposées les chefs-d’oeuvres de l’esprit humain ne fonde-t-il pas une sorte de religion esthétique où l’esprit sacralise et contemple sa grandeur à travers la grandeur de ses réalisations ? Lorsqu’on sait que l’esthétique hegelienne faisait de la pyramide égyptienne une manifestation de l’Esprit qui pressent sa grandeur tout en restant encore voilé à lui même dans son essence propre, que penser de la construction d’une pyramide transparente qui marque l’entrée du musée du Louvre où sont exposé les chefs-d’oeuvre des civilisations humaines !

Cependant force est de constater que Platon avait raison de se méfier de l’art. A se servir du sensible, l’art risque bien d’y prendre goût et de conférer à ses productions des finalités moins idéalistes, voir même de s’enliser dans les fantasmagories de l’irrationnel où sensations et imaginaire se mêlent pour le seul plaisir de créer des formes sans cesse nouvelles.

2- La mimesis aristotélicienne et ses prolongements ou les esthétiques naturalistes

La mimesis selon Aristote se résume par cette formule : “l’art imite la nature”. Cependant cette formule a donné lieu à de nombreux contresens et l’histoire de l’esthétique naturaliste pourrait s’inscrire dans toutes les interprétations qui en ont été faite. En fait cela tient à la polysémie du terme “nature” ou “jusis” en grec, polysémie qui est présente au sein même de la philosophie aristotélicienne. Nature y signifie à la fois essence d’une chose, ensemble du monde visible, principe actif qui détermine une chose dans son devenir, origine et finalité de toute chose. Comment alors comprendre la formule ”l’art imite la nature” ? Pour Aristote elle signifie que l’art (il s’agit de l’art au sens large, c’est à dire l’ensemble des activités humaines) agit selon les mêmes principes que la nature. un chose non créée par l’homme, naturelle, est régit par quatre causes qui lui sont à la fois intrinséques et transcendantes : la cause finale, c’est à dire ce pour quoi elle est faite dans l’ordre du cosmos, la cause matérielle, c’est à dire la matière informelle d’où elle a surgi, la cause effective, c’est à dire l’énergie qui lui permet de se former, et enfin la cause formelle, c’est à dire la forme vers laquelle elle tend à se développer. Chacune des causes correspond à l’un des sens du mot nature. Aussi l’art humain imite-t-il la nature au sens où le produit de cet art est également conditionné par ces quatre causes : la fabrication d’une coupe par un artisan sera déterminé par sa fonction (cause finale, ce en vue de quoi l’objet est fabriqué), par sa forme finale (la forme qui préexiste dans l’esprit de l’artisan et qui guidera la réalisation de l’objet), par le matériau utilisé (cause matérielle), par les actions de l’artisan sur le matériau (cause effective). Cependant Aristote précise que, à la différence d’un objet naturel, le produit de l’art n’est pas régi par des causes intrinséques ; forme, fonction et transformation lui sont infligées de l’extérieur. Un lit en bois ne donnera pas naissance à un nouveau lit si on le plante, mais plutôt, à la limite, à un nouvel arbre. On peut noter l’écart qui sépare le sens aristotélicien de la mimesis de toutes les interprétations qui en ont fait une pure et simple imitation des formes sensibles de la nature. il faudra attendre longtemps avant que l’imitation de la nature redevienne une imitation de la nature en tant que principe actif producteur de formes.

Cependant, force est de constater que l’interprétation erronné de la formule aristotélicienne a gouverné la majeure partie de la production artistique occidentale de la Renaissance au XiXe siècle, voir même jusqu’à nos jours si l’on regarde la production des hyperréalistes américains. A travers les représentation du corps ou des paysages qui n’ont eu de cesse d’atteindre la perfection de la ressemblance et du rendu des effets naturels (volume, couleurs, lumières), il peut sembler que la peinture occidentale jusqu’à une époque récente n’a été qu’un gigantesque effort pour transférer minutieusement sur la surface plane de la toile l’espace naturel qui s’offre à la vision. Au XViie siècle Poussin, définit la peinture “comme une imitation faite de ligne et de couleurs en quelque superficie, de tout ce qui se voit sous le soleil, et sa fin est la délectation” . Certes, un tel idéal de reproduction conforme de la nature est en soit sans signification : il y a toujours interprétation subjective de la part de l’artiste à l’égard du modèle, ne serait-ce que par le choix du sujet, du cadrage, etc... ; cependant cette vérité, cette fidélité de l’oeuvre à l’égard du modèle est un schème profondément enraciné dans le regard esthétique occidental.

N’entend-on pas toujours des visiteurs s’exclamer dans un musée devant une toile : “C’est beau, comme c’est ressemblant ! On dirait une photo !”. Mais cette ressemblance, cette illusion de vérité du produit artistique, n’est-elle pas le plus gros mensonge qui soit ? Ne cache-t-elle pas la véritable réalité de l’oeuvre, à savoir, pour une peinture un agencement de formes, de couleurs, en vue de créer un effet sur le spectateur ? “Ceci n’est pas une pipe” écrit Magritte sur sa toile célèbre représentant justement une pipe.

La reproduction fidèle de la réalité par l’art nous amène à envisager trois issues. Si l’objectif de l’artiste est l’imitation, soit on se délecte de la prouesse technique, soit on le condamne à la manière du platonisme pour copie mensongère, soit on valorise ce côté mensonger de l’art et on cherche à analyser ce que pourrait nous apporter le caractère fictif de l’art ce qui nous mène à une esthétique de l’interprétation ou même de la multiplicité des interprétations.

C’est à Nietzsche que revient le mérite d’avoir formuler une esthétique de l’interprétation qui s’intégre dans un nouveau type de naturalisme où il ne s’agit plus d’imiter purement et simplement les apparences du monde sensible, mais d’imiter la vie en tant jaillissement perpétuel de formes, en tant que force plastique et perspectiviste. Pour Niezsche la vie implique mensonge, injustice, exploitation et l’art en tant que “la plus haute puissance du faux” est à l’image de la vie. Mais pour Nietzsche, les termes de mensonge, de faux, ne sont compréhensibles que par rapport à la vérité que le platonisme avait créer comme absolu. Si comme Nietzsche on affirme qu’il n’y a d’autre vérité que l’apparence, alors le faux et le mensonge sont l’essence même de tout rapport au monde, c’est à dire que tout rapport au monde est interprétation, sélection d’information. Vivre, c’est pour le vivant extraire du monde ce qui lui sert à se conserver et à s’accroître, et abandonner le reste. Nietzsche conçoit l’interprétation, la faculté de choisir unilatéralement selon son point de vue, comme l’essence de la vie. Aussi l’art est-il à l’image de la vie, interprétations multiples, sans cesse renouvelées, créant sans cesse de nouvelles formes et en cela complétant et accompagnant la Vie dans son devenir multiple. Une carte de virtualités, tracée par l’art, se superpose à la carte réelle dont elle transforme les parcours” (G.Deleuze, Critique et Clinique, p88).

Quand on observe la formidable diversité de l’art du XXe siècle, il semble qu’une telle esthétique a bel et bien trouver son accomplissement dans les réalisations artistiques qui ont rythmé l’histoire contemporaine par leur perpétuelle recherche de formes nouvelles. De plus il nous semble que la récente théorie de l’information confirme ce point de vue esthétique nietzschéen et nous permettent de préciser, d’un point de vue systémique, ce que pourrait être la fonction sociale de l’art et la nécessité pour une société humaine de lui ménager une place de choix parmi ses autres activités. Cela nous conduira également à ouvrir les pistes de réflexions que nous recherchons à propos de la nécessité et des finalités d’une éducation artistique.

3- Esthétique et théorie de l’information

Pour comprendre plus aisément la théorie de l’information, il nous semble nécessaire de décrire succintement les principes de la thermodynamique dans lesquelles elle prend sa source. Lorsqu’on met en présence deux ensembles physiques de températures diffèrentes, il se met en place un mouvement qui va tendre au nivellement des tempérarures des deux ensembles, et lorsque la température sera homogène, il n’y aura alors plus aucune possibilité de mouvement ou de transformation, c’est à dire mort thermique. C’est le principe d’entropie, qui, appliqué à l’ensemble de l’univers à donner lieu à l’hypothèse selon laquelle l’univers tend à l’homogénéisation à partir d’une différenciation initiale, c’est à dire un déséquilibre, qui engendre mouvement et transformation pour atteindre un équilibre final, ou mort thermique de l’univers. L’entropie peut s’exprimer également en terme d’information : l’information étant au maximum au départ (différentiation maximum ou organisation complexe) pour se perdre peu à peu et devenir nulle dans une indifférentiation totale ou absence d’organisation (désordre absolu). Cependant, il existe dans l’univers des phénomènes qui vont à l’inverse de cette tendance entropique, c’est à dire où il y a croissance de l’information, regain d’organisation temporaire, comme par exemple le phénoméne de cristalisation dans le domaine de l’inorganique. Le phénomène majeur de tendance inverse à l’entropie nous concerne directement, puisqu’il s’agit de la vie (cf. O. Costa de Beauregard, Le second principe de la science du temps). La vie se caractérise par une complexification croissante, une organisation sans cesse renouvellée, une information croissante de la matière, qui contredisent radicalement mais temporairement (la mort d’un organisme vivant est une victoire du processus entropique, un retour à l’indifférenciation) le processus entropique. C’est en cela qu’on a pu caractériser la vie comme un processus néguentropique, inverse à l’entropie. On voit déjà en quoi l’art imite et participe à cette lutte sans cesse renouvellée de la vie contre le nivellement et l’indifférenciation vers lesquels semble tendre l’univers.

La théorie de l’information est partie de là pour appliquer ce mode de raisonnement tout d’abord à la cybernétique (les systèmes informatiques) puis à l’étude systémique des organismes (H. Atlan, L’organisation biologique et la théorie de l’information) pour comprendre comment un vivant pouvait à la fois échanger avec un milieu extérieur sans pour autant se dissoudre dans celui-ci (temporairement, évidemment, puisque tout organisme est voué à la mort). En ce qui concerne les machines artificielles, tout ce qui est désordre, bruit, erreur, accroît l’entropie du système, c’est à dire entraîne sa dégradation, sa dégénérescence et sa désorganisation. Mais l’organisme vivant, lui, fonctionne malgré et avec du désordre, du bruit (élément perturbateur, ne pouvant être intégrer directement par un système) et de l’erreur, lesquels ne sont pas forcément dégénératifs et peuvent être même régénérateurs. L’organisme, qui est constitué d’éléments fragiles et peu fiables, aisément dégradables, est paradoxalement d’une grande fiabilité d’ensemble, ce qui s’éclaire si l’on considère l’organisation d’un système vivant comme un processus d’autoproduction permanente ou de réorganisation permanente, laquelle résorbe l’entropie, qui se produit de manière continue à l’intérieur du système, et répond aux atteintes désorganisationnelles venant de l’environnement auxquelles elle s’adapte. Ainsi le bruit, c’est à dire ce qui vient perturber le bon fonctionnement du système, provoque chez le vivant l’apparition d’une innovation, d’une complexité plus riche, suscite un ordre nouveau. En cela, il est indéniable que l’art participe fortement au jeu néguentropique de la vie, qui est combinaison, différenciation, prolifération inventive des formes. Cependant cette participation, qui satisfait un besoin proprement esthétique, garde une apparence superflue. Or nous aimerions montrer que l’art est une nécessité vitale pour un individu comme pour une société.

Pour cela nous allons transposer le modèle systèmique aux rapports qui constituent la société humaine, nous inspirant en cela des tentatives d’Edgar Morin pour unifier les sciences de l’homme sous le concept organisateur d’hypercomplexité. Une société humaine est un système plus ou moins organisé d’individus qui ont en commun un mode de vie et de pensée par l’intermédiaire desquels ils peuvent entrer en interaction avec un environnement et éventuellement d’autres sociétés humaines. Les modes de vie et de pensée constituent l’élément organisateur de la vie interne du système (rapport entre les individus et gestion des disfonctionnement interne) et l’élément intégrateur de tout bruit extérieur. L’art est un des éléments constituant les modes de vie et de pensée. Dans les sociétés dites archaïque, il a des fonctions magiques, mythiques et religieuses, c’est à dire qu’il permet respectivement : d’intégrer un élément inattendu, hostile qui risquerait de remettre en cause l’équilibre de la société ; de donner un fondement aux pratiques et aux modes de pensée de la société ; de finaliser et de sacraliser l’existence même de la communauté. Dans ces sociétés, on le voit, l’art joue un rôle majeur dans la réorganisation du système en vue de s’adapter et d’intégrer tout élément perturbateur du fonctionnement sociale, qu’il soit interne ou externe. Cependant ce type de fonctionnement qui régit de petites sociétés humaines dont l’environnement est relativement stable et naturel et où les interactions avec d’autres sociétés humaines sont très faibles, n’est plus valide dans notre société moderne où la mondialisation des échanges et des interactions humaines a généré ce qu’on pourrait appelé une société internationale où les éléments perturbateurs et entropiques surviennent à l’intérieur de ce système global et sont dûs en majeure partie à des heurts entre ses parties (individus, ethnies, Etats, etc...) et au nivellement des modes de vie et de pensée qu’entraîne le fonctionnement même de cette société mondiale. Le risque majeur qui guette une telle société internationale est la disparition progressive du milieu extérieur au système, ce qui signifie qu’il y a de moins en moins de bruits qui viennent contraindre le système à se réorganiser. Si l’entropie est la nourriture d’un système, ce qui lui permet d’évoluer, la société internationale est contrainte à générer son propre désordre pour survivre. C’est ici qu’intervient l’art, qu’il s’adresse à l’élite ou qu’il soit populaire, dans les phénomènes de modes. La mode, en perpétuelle évolution, est une gigantesque fabrique d’images, de styles, d’idées, permettant au système de créer artificiellement une adaptation constante, une réorganisation sans fin chez les individus qui le composent. L’artiste joue donc un rôle absolument nécessaire en permettant au système de renouveler ses images, son mode de perception du monde en général. En somme, l’art, s’exprimant et se diffusant à travers les phénomènes de mode, évite le nivellement complet des modes de vie et de pensée, et permet de distraire les individus, de rompre la monotonie de la vie quotidienne, sans quoi, parions-le, le système ferait long feu.

Nous en arrivons donc à une esthétique qui, du point de vue de la création artistique, a pour principe un renouvellement perpétuel et rapide de la production de formes, tant visuelles que sonores, qui contribue de manière décisive à la néguentropie du système social. Cependant du point de vue de la réception, il nous semble important de signaler que cette esthétique se scinde en deux courants : l’un, qui pourrait s’appeler la consommation de masse, se caractérise par le fait qu’il produit des formes qui se veulent directement assimilables par les individus -de même qu’il y a du prêt-à-porter, il y a du prêt-à-écouter, du prêt-à-voir, du prêt-à-manger-, l’autre, certes plus élitiste, se caractérise par la production d’ ”oeuvres ouvertes” (pour reprendre la formule d’Umberto Eco), qui ont le souci de ménager la possibilité d’une pluralité d’interprétations et qui donc nécessitent du récepteur une activité d’appropriation qui participe à leur création jamais totalement achevée.

II/ L’éducation artistique, enjeux, finalités et suggestions de pratiques

il s’agira ici de tirer les conclusions de ce que nous avons vu concernant le rôle de l’art à partir de la réflexion esthétique, en vue de définir les enjeux et les finalités d’une éducation artistique à l’école primaire, et de relire les intructions officielles à la lumière de ceux-ci. Enfin nous donnerons quelques orientations à des pratiques possibles en cohérence avec les finalités qui auront été mises à jour en privilégiant les exemples qui mettent en oeuvre des champs artistiques peu présents à l’école primaire.

1- Une éducation artistique pour répondre à des besoins

Il nous semble que les besoins auxquels doit répondre une éducation artistique sont de deux ordres : les uns sont les besoins propres à l’enfance et les autres sont liés à l’évolution de notre société à laquelle l’école a mission de préparer les enfants.

Les besoins propres à l’enfance relève de ce que nous définissions comme les fonctions de l’art dans les sociétés dites “archaïques”, à savoir les fonctions magiques, mythiques et religieuses (ou rituelles). Pour intégrer tous les bruits, désordres et erreurs qui se présentent sans cesse à l’enfant dans son interaction de plus en plus large avec son environnement qui lui-même s’aggrandit, l’enfance ne dispose que de la puissance de son imaginaire et des productions de l’imaginaire collectif. En effet le processus d’intégration de type rationnel, en place chez l’adulte, n’est pas encore construit chez la plupart des enfants de l’école primaire, ou il est en cours d’élaboration chez un certain nombre d’enfants à partir de la fin du cycle 2. Aussi, l’enfant ne disposant que du processus imaginant, il est nécessaire de lui permettre de concrétiser son imaginaire dans des pratiques artistiques, tout comme il est nécessaire de lui donner accès à l’imaginaire social à travers les mythes, les contes, qui lui fourniront des archétypes qui le guideront dans sa vie quotidienne et dans ce vaste objectif de l’enfance : grandir, c’est à dire être constament en train de s’adapter, de réorganiser son mode de rapport à l’environnement et aux autres. Le premier enjeu de l’éducation artistique à l’école est donc de pouvoir donner à tous les enfants (et c’est en cela qu’elle est une mission de l’école : combler les inégalités familiales et socioculturelles) les moyens d’accroître à la fois la richesse des contacts avec le monde environnant et ses possibilités d’adaptation et d’action.

Quant aux autres besoins, ils sont liés à l’adulte que chaque enfant sera dans notre société. Toute société, si elle ne veut se scléroser et péricliter, a besoin d’hommes et de femmes non seulement actifs mais aussi acteurs de leur propre vie comme de la vie sociale, possédant donc une intelligence adaptative intuitive ou plastique -pour reprendre le terme de Daniel Lagoutte- que ne développent pas pour elle-même les disciplines dites scolaires qui privilégient une intelligence de type rationnel, plus structurante mais plus rigide aussi. Or c’est une tendance fondamentale de notre société (radio, télévision, journaux, modes, etc...) -et de notre système scolaire (pédagogie de type transmissif)- à fabriquer des consommateurs et des assistés disponibles pour ce que nous appelions le prêt-à-penser, le prêt-à-entendre, le prêt-à-voir. C’est pourquoi un deuxième enjeu de l’éducation artistique à l’école est de favoriser l’émergence, le développement et l’épanouissement de cette intelligence plastique pour former des citoyens acteurs de leur environnement social, professionnel et culturel. Enfin, notre société accordant une place sans cesse plus grande aux loisirs, il nous paraît important que l’école, si elle ne veut pas mettre à l’écart une part majeure de la vie sociale, prenne en charge une éducation aux loisirs à laquelle l’éducation artistique pourrait contribuer aux côtés de l’éducation physique et sportive. Le troisième enjeu pour l’éducation artistique pourrait donc être de participer à cette éducation aux loisirs, au temps libre, pour que l’homme et la femme, que seront les enfants, ne meublent pas ce temps uniquement par une consommation boulimique des produits de loisirs et prennent goût à des activités esthétiques qui enrichiront leur personnalité et leur perception du monde.

2/ Quelle éducation artistique pour répondre à ces besoins ?

Si nous posons une telle question, c’est bien parce qu’il existe plusieurs types d’éducation artistique qui relèvent pour une large part des différentes conceptions esthétiques que nous avons analysées plus haut.

Si l’on considère l’esthétique idéaliste qui engendre un art de convent ˇion et de message qui a pour but de symboliser un réalité transcendante, elle génére une éducation qui viserait simplement à inculquer aux enfants le respect et l’admiration des grandes oeuvres et des grands artistes qui symbolisent à eux-seuls la grandeur et le destin de l’humanité -ou de La République Française. Le lieu privilégié d’une telle éducation est le musée, espace sacré où ne devrait entrer que le silence admiratif ; activités complémentaires éventuelles : l’imitation des grandes oeuvres picturales et surtout la sacrosainte Récitation de poèmes des “génies de la littérature française” (“Demain dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne...” ; “...O temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices...” et autres Dormeur du val). Une telle éducation, outre qu’elle ne répond en rien aux préoccupations des enfants -bien qu’ils finissent par se complaire dans le rituel de la récitation scolaire-, ne permet pas aux enfants de manifester leur propre imaginaire et, si elle les met en contact d’un certain imaginaire social, ne leur apporte pas un imaginaire correspondant à leurs préoccupations psychologiques et affectives, et cela bien qu’une telle éducation peut très bien se justifier par la lecture du texte des instructions officiels. Ne cherche-elle pas à “donner le plaisir du geste”, à “former le goût”, à “donner accés au patrimoine artistique et culturel” ; quant à ce qui est de “développer les capacités d’expression et de création”, il suffit en plus de donner une feuille blanche à l’élève qui a terminé son travail en avance et de lui dire “fais-moi un dessin”.

Quant à l’esthétique naturaliste qui assigne à l’art l’imitation de la nature concréte, elle a donné lieu également à une éducation fondée sur l’observation et la reproduction fidèle de la réalité qu’à élaborer Rousseau dans L’Emile : ”Je me garderai donc bien de lui donner un maître à dessiner, qui ne lui donnerai à imiter que des imitations, et ne le ferait dessiner que sur des dessins. je veux qu’il ait sous les yeux l’original même et non le papier qui le représente, (...), afin qu’il s’accoutume à bien observer les corps et leurs apparences, et non pas à prendre des imitations fausses et conventionnelles pour de véritables imitations. Je le détournerai même de rien tracer de mémoire en l’absence des objets, jusqu’à ce que, par des observations fréquentes, leurs figures exactes s’impriment bien dans son imagination ; de peur que, substituant à la vérité des choses des figures bizares et fantastiques, il ne perde la connaissance des proportions et le goût des beautés de la nature.” (Emile, ii). On reconnaît là une tentative d’exorcisme de l’imaginaire auquel feront échos les instructions officielles de la iiie République s’appuyant sur le positivisme rationnaliste qui régnait sur les établissements scolaires. On comprend aisèment en quoi une telle éducation ne devrait plus avoir cours aujourd’hui, ne serait-ce que par son rejet de l’imaginaire et de toutes inventions des formes qui sont pourtant une des caractéristiques essentielles de l’art.

Aussi, nous allons tenter de définir une éducation artistique qui reléve les trois enjeux que nous avons définis plus haut -à savoir permettre à l’enfance de concrétiser et d’enrichir sa faculté imaginaire qui est essentielle à leur développement affectif, intellectuel et social et développer chez les enfants une intelligence plastique, ou intuitive, pour qu’ils deviennent des acteurs de leur environnement, capables de s’adapter à la diversité et à la complexité des situations, mais aussi capables de faire de leurs loisirs des moments d’enrichissement. il nous semble que l’esthétique que nous avons fondée sur la théorie de l’information est à même de guider la conception d’une telle éducation. Non seulement parce qu’elle prône la diversité et le renouvellement de la production de formes qui fait écho au processus néguentropique de la vie et de l’homme chez qui ce processus est maximum durant l’enfance, mais aussi parce qu’elle montre en quoi l’art est essentiel au renouvellement et à l’équilibre de notre société, et à l’ouverture de chaque individu pour peu que celui-ci ne s’enferme pas dans un art de consommation directe mais s’ouvre à des productions plus ouvertes et plus complexes, une telle esthétique peu fonder une éducation dont le principe réside dans la perception et la production de la diversité et de la complexité pour former et développer cette intelligence plastique qui est le véritable enjeu de l’éducation artistique. Si l’on relit le texte des instructions officielles de 1985 à la lumière de cette esthétique, “procurer le plaisir du geste” revient à donner aux enfants le plaisir d’interagir avec un matériau (sons, mots, corps, espace, matière, surface) qui conditionne l’action dans le même temps où l’action lui donne forme, “former le goût” revient à donner aux enfants l’envie d’entrer en contact avec une diversité et une complexité, naturelles et artistiques, sans cesse croissantes, à l’écart de la prison confortable des stéréotypes et des clichés, “donner accés au patrimoine artistique et culturel” revient à vivifier et relancer l’action artistique des enfants tout autant qu’à enrichir leur relation au monde en leur faisant sentir la formidable diversité des productions humaines à laquelle peut faire écho la diversité de leurs propres productions, “développer leur capacité d’expression et de création” revient non pas à vouloir à tout prix qu’ils expriment quelque chose ou qu’ils créent à chaque fois de l’absolument nouveau (le concept de création est à notre avis ambigü et trop fortement imbibé de métaphysique pour qu’il désigne l’action artistique humaine des artistes comme des enfants ; nous lui préférons le concept de production au sens grec de praxis : un faire qui agit sur l’actant en même temps que sur le matériau), mais à donner à l’enfants les moyens d’accroître sans cesse son pouvoir de production de formes en le mettant en présence de matériaux et d’outils constament renouvelés, en prenant pour principe que toute transformation d’un matériau est expression au sens inscription dans la réalité de ce que l’on est soi-même (réorganisation de soi et réorganisation du monde se font par la même action de production de formes imaginaires).

3- suggestions de pratiques

Tout d’abord on notera que dans le domaine de la pédagogie des pratiques artistiques à l’école, les arts plastiques, à travers les travaux de Daniel Lagoutte, ont su les premiers se doter d’un dispositif pédagogique cohérent et réfléchi qui nous semble pleinement en accord avec les enjeux et les finalités de l’éducation artistique d’aujourd’hui tels que nous les avons définis plus haut. Daniel Lagoutte fixe d’ailleurs la finalité de l’enseignement des arts plastiques dans le développement de l’intelligence plastique dont nous avons parlée. Outre toutes les suggestions très concrètes qu’il fait dans ses livres (Enseigner les arts plastiques et Les arts plastiques : contenus, enjeux, finalités) concernant les incitations imaginaires possibles, le musée personnel, les opérations plastiques à mettre en oeuvre, les notions plastiques à faire découvrir, nous retenons tout particulièrement la démarche globale d’une séquence qu’il propose et qui nous semble à plus d’un titre pouvoir servir de modèle à l’ensemble des pratiques artistiques de l’école primaire. Selon lui, une séquence d’arts plastiques s’articule autour de deux pôles : une problématique plastique ouverte (n’induisant pas une réponse stéréotypée) et une recherche-action mettant en oeuvre des opérations plastiques avec un medium (par exemple de la peinture) et un support (par exemple une boîte en carton) en utilisant des outils (pinceau, doigt, main, éponge, etc...). La problématique et la recherche pourront être sollicitées par un objet concret évocateur ou par la mise en place d’un cadre imaginaire. Les productions issues de cette recherche donneront lieu à une évaluation dont l’objectif est de constater la diversité des réponses possibles en terme de procédures plastiques utilisées et la conformité ou la non-conformité de la réponse à la problématique posée. Eventuellement l’évaluation sera élargie en montrant aux élèves les diverses réponses qu’ont apportées des artistes à la même problématique. Nous n’entrerons pas dans une illustration de cette démarche en arts plastiques puisqu’elle est faite très précisèment par les nombreux exemples que D.Lagoutte développe dans ses ouvrages. Par contre nous allons tenter de voir comment cette procédure pédagogique peut être transposer avec interêt dans d’autres champs artistiques mis en oeuvre à l’école et notamment en musique où l’on voit trop souvent un intervenant extérieur, venant des conservatoires ou des écoles de musique municipales, prendre la place de l’enseignant et enseigner aux enfants des notions de solfège qui n’ont guère de sens pour la plupart des enfants.

La musique se caractérise en ce qu’elle est production de formes sonores, et si, de par sa nature elle est moins exposée que les arts visuels à une interprétation unilatérale, le risque n’en existe pas moins pour l’enseignant d’enfermer les élèves dans des stéréotypes (cf. le syndrôme Pierre et le Loup ou Le carnaval des animaux). C’est pourquoi l’incitation peut venir directement d’une pièce musicale dont il s’agira d’élucider les procédés utilisés pour aboutir à une production sonore des enfants qui sera foncièrement originale de par la diffèrence des instruments dont disposent les enfants (voix, percussions inventées qu’elles soient corporelles ou fabriquées). il s’agit de faire agir les élèves sur les paramètres sonores (rythme, tempo, timbre, hauteur, intensité) pour répondre à une problématique musicale (écriture d’une pièce musicale avec des critères d’orchestrations, d’harmonie, de temporalité, en vue d’obtenir des effets sonores). Ce travail de production sonore permet aux élèves de résoudre des problèmes d’organisation temporelle qui font échos aux problèmes d’organisation spatiale liés aux arts plastiques. L’enregistrement des productions permet une évaluation, qui, au même titre qu’en arts plastiques, portera sur les procédures et les moyens utilisés, ainsi que sur la conformité du résultat à l’objectif fixé. Là encore on insistera sur la diversité des réponses possibles à une problématique. Précisons également que la non-conformité d’une production à la problématique de départ ne veut pas dire qu’elle est forcément dénuée d’intêret ; une transgression, volontaire ou involontaire, peut se révèler riche de développement pour des activités futures. Quant à la pratique du chant, activité musicale principale à l’école primaire selon les instructions officielles, outre qu’elle joue un rôle fondamentale dans la formation de l’oreille des enfants, elle peut également donner lieu à des problématiques musicales comme les possibilités d’accompagnement et d’orchestration d’un chant pour donner un équivalent sonore à des effets littéraires que les enfants auront pu remarquer dans le texte du chant.

Enfin, nous aimerions insister sur les pratiques théâtrales à l’école qui de par leur nature qui est d’être production globale d’un univers plastique, sonore, gestuel, sémantique, spatial, poétique, animé, nous paraissent non seulement développer des compétences propres mais aussi permettre de susciter ou de réinvestir le travail sur des compétences venant de l’ensemble des disciplines participant à l’éducation artistique (musique, arts plastiques, danse-expression corporelle, poésie et production de texte), et cela sans que l’interdisciplinarité détourne ou dénature l’esprit de chacune de ces pratiques. Pour les arts plastiques, outre que la pièce de théâtre constitue une incitation et un cadre imaginaire, elle permet, à travers la réalisation des décors, de poser aux élèves une problématique plastique liée à la spatialité et à l’orientation de l’espace (qui est polarisé par le regard du futur public), à mi-chemin de la sculpture et de l’architecture. En musique, cette même pièce peut susciter la création d’une bande son qui allierait bruitages et morceaux musicaux, ou bien on créera pour un passage de la pièce une production vocale et/ou instrumentale qui s’y intégrera. Le jeu scénique lui-même nécessitera de travailler et de réinvestir des compétences propre à la danse et à l’expression corporelle. Quant au texte il sera soit créer, soit emprunter à un auteur dramatique et dans ce cas la découverte, l’interprétation voir même l’adaptation peuvent avec succés permettre un travail fructueux sur de nombreuses compétences langagières. il nous semple donc que les pratiques théâtrales sont idéales pour fédérer les pratiques artistiques dans le cadre d’un projet, dont l’étendu sera fonction de l’âge des élèves, tout en permettant à ces diverses pratiques de progresser vers les objectifs qui leur sont propres. Enfin le théâtre nous semble être une pratique où les enjeux de l’éducation artistique sont impérativement présent : le théâtre est un lieu de sollicitation et d’épanouissement de l’intelligence plastique de la complexité, puisque la scène de théâtre est le lieu où se joue la complexité du monde et où les élèves peuvent en être les acteurs.

Conclusion

Ce long détour par l’exposé théorique des grandes conceptions esthétiques nous a paru nécessaire à deux titres.

Tout d’abord il est bon de savoir que ces conceptions forment toutes une part de la manière dont nous concevons le monde, encore aujourd’hui et en chacun de nous. Idéalisme et naturalisme constitue des schèmes de pensée qui, même si consciemment on les refuse, conditionne notre pensée, et par là notre action sur le monde et notre perception esthétique, parce ce qu’ils sont profondément ancrés dans notre culture.

D’autre part, l’analyse de ces conceptions, parce qu’elles ont donnés naissance à des modéles éducatifs et d’enseignement artistiques, nous a permis de mettre à jour les finalités sociales et spirituelles de ces modèles éducatifs, que nous avons pu personnellement voir à l’oeuvre dans l’école actuelle, ainsi que de tenter de définir les enjeux d’une éducation artistique pour une société telle que la notre. il nous semble qu’une esthétique, fondée sur les récentes avancées de l’anthropologie s’inspirant des théories de l’information, nous a bien permis de trouver des fondements aux pratiques artistiques de l’école primaire et de formuler les enjeux d’une éducation artistique d’aujourd’hui.

Enfin, à travers les suggestions pratiques que nous avons formulées en fonction de finalités que nous avons attribuées à l’éducation artistique, nous avons voulu inciter à un élargissement des champs artistiques mis en oeuvre à l’école, afin que les élèves soient confrontés à des pratiques sans cesse nouvelles et que leur perception et leur action dans le monde s’en trouve à chaque fois enrichies.

BIBLIOGRAPHIE

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- Aristote, Physique
- Rousseau, L’Emile
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- Heidegger, Nietzsche I et II
- M. Foucault, Les mots et les choses
- G. Deleuze, Nietzsche et la philosophie, Logique du sens, Critique et clinique
- Panofsky, Architecture gothique et pensée scholastique, La perspective comme forme symbolique
- Umberto Eco, L’oeuvre ouverte
- O. Costa de Beauregard, Le second principe de la science du temps
- E. Morin, Le paradigme perdu : la nature humaine
- H. Atlan, Organisation biologique et théorie de l’information
- Les cycles à l’école primaire, CNDP
- Lagoutte, Enseigner les arts plastiques
Les arts plastiques, enjeux et finalités
- Duborgel, imaginaire et pédagogie
- Rutily, Esthétique et environnement

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